lundi 4 août 2008

La Loi

Moïse et les tables de la Loi, Philippe de Champaigne

Car vous commencerez par le respect.

Vous ne direz point : la vieille qui brûle un cierge et qui marmonne est une superstitieuse. Ou : ce révolutionnaire aigri est un aigri. Ou : cette femme acariâtre et dévoreuse de ses enfants est une malade. Vous ne direz rien de tel. Vous ne mettrez point votre frère et semblable dans une prison. Tu ne tueras pas.

Vous commencerez par le respect. Vous ne direz pas :

Dieu est ceci et cela, il existe ou il n'existe pas (c'est-à-dire : il est comme je l'imagine, ou : comme je l'imagine, il n'est pas). Vous ne me ferez pas dire ce qui vous convient. Vous ne tirerez pas à vous ce qui, de moi, parvient très lointainement à vos oreilles, pour en faire la justification de vos crimes. Tu ne feras pas d'image de moi.

Vous ne vous jetterez pas de-ci de-là, selon l'humeur, le pouvoir qui vous y pousse, la mode, les convenances, la commodité. Vous resterez bâtis sur le roc, intraitables quant à la vérité et la justice. Mais vous saurez que vérité comme justice ne sont pas vôtres, et que rien ne me fait tant horreur que le fanatisme, l'odieuse confiscation des biens sans prix. Vous n'aurez en vénération ni l'argent, ni la violence, ni les pouvoirs, ni vos plaisirs, ni quelque seigneur ou maître ou père, ni vous-mêmes. Vous serez libres. Tu n'auras d'autre Dieu que moi seul.

Vous commencerez par le respect. Vous quitterez père et mère, afin de mener votre propre vie, sous mon soleil. Vous ne remplacerez pas votre père ou votre mère par quelqu'un d'autre, pas même et surtout pas sous prétexte de me mieux servir. Vous les quitterez, vous irez assez loin pour les reconnaître tels qu'ils sont, pour les connaître homme et femme, bien semblables à ce que vous êtes, et pour leur donner gratitude de vous avoir donné la vie. Car même s'ils ne vous ont rien donné de plus, et même s'ils ne vous ont pas voulu et désiré - ou s'ils vous ont transmis leur mal et leur misère - ils vous ont donné la vie, quelque chose de ce qui les dépasse et vient de moi est passé en eux, et vous êtes nés, vous qui, sans eux, ne seriez pas. Ainsi, vous serez (peut-être à grand prix) réconciliés avec eux. Tu honoreras ton père et ta mère.

Vous commencerez par le respect. Vous ne prendrez pas à l'autre ce qui est son bien, ce qui fait partie de sa propre vie, ce qui le fait vivre, ce qui le soutient dans son existence. Vous ne lui prendrez pas sa nourriture, vous ne lui prendrez pas son travail, vous ne lui prendrez pas sa maison, vous ne lui prendrez pas ceux qu'il aime : sa femme, ses enfants, ses frères, ses amis. Vous ne lui prendrez pas ses certitudes, son espoir, son désir, l'œuvre où il met son esprit, son cœur et ses mains. Vous ne lui prendrez pas sa vie. Vous ne lui prendrez pas sa mort. Vous ne lui arracherez par force rien de ce qui le tient en vie. Tu ne prendras pas le bien d'autrui. Tu ne prendras pas la femme d'autrui.

Vous commencerez par le respect. Vous ne traiterez personne de lâche, vaurien, voyou, vous ne traiterez personne de bourgeois, de nègre, de raton, de moricaud, de flic, de bolchevik - sachant d'ailleurs que ce qui dans votre bouche est injure peut être pour lui dignité. Vous ne souillerez pas la parole humaine où je suis, vous ne souillerez pas votre parole par le déni de justice, l'invitation trompeuse, le mépris insultant, l'entortillement de la vérité, le chantage, ou quoi que ce soit qui induise autrui à l'erreur et au malheur. Si vous parlez mal de moi, je ne vous en tiendrai pas rigueur, car vous ne sauriez, de moi, parler bien ; je saurai entendre vos cris, vos imprécations, vos murmures, et même je saurai comprendre que, ne me connaissant pas, ou conduits malheureusement à me voir tout autre que je ne suis, vous en veniez jusqu'à me maudire ou vous désintéresser de moi. Mais je ne vous pardonnerai pas, si vous vous y obstinez, d'écraser ce qui témoigne de moi là où vous êtes : le respect de la vérité, le respect de la vie, et, signe entre les signes, le respect de celui qui vous est semblable et face à face, l'autre homme. Tu ne blasphémeras pas. Tu ne feras pas de faux serment.

Vous ne vivrez pas seulement pour le travail, ou pour l'argent, ou pour vos jeux, ou pour accroître votre pouvoir, ou pour assurer l'établissement et le profit des vôtres. Vous commencerez par réserver dans vos vies la place du grand repos, du grand loisir où vous serez disponibles à ce qui vient, attentifs à ce qui est sans prix. Vous réserverez soigneusement la place de ce qui est gratuit, que vous ne pouvez ni acheter ni vendre, la place où je suis. Ainsi devras-tu respecter mon Jour.

Vous commencerez par le respect. Alors vous sera donné d'entrer dans ce chemin de l'impossible où vous souffrirez extrêmement et où nul ne vous ravira votre joie.

Telle est la porte de mon bonheur.

Maurice Bellet. Le Lieu du Combat, pp.149-151

Si ce n'est pas maintenant, quand?

Hillel, l'ancien


8 commentaires:

Anonyme a dit…

Waouh! belle et dense interpellation en ce retour de vacances, catherine ...

par laquelle je me sens concerné : il fut un moment dans la vie où, pour moi orgueilleusement, je faisais volontiers mienne cette parole de l'apocalypse : "je te vomis parce que tu as été tiède"...

J'ose te proposer, comme une mise à l'épreuve, un élément de ma réponse, celle d'un être simplement humain, sans aucun titre autre que celui-là, réponse comme elle s'est "construite" depuis, pas après pas, jusqu'à ce moment, au gré de ce que la Vie m'a convier à expérimenter.

Chaque être humain est en lui même la plus belle, la plus élaborée et la plus aboutie des créations de D.ieu, à qui Il a donné la liberté. Celle-ci lui est constitutive.

Là où il est, comme il est, d'expérience en expérience, c'est au moment où nous comprenons que le "Mal" n'a pas d'existence "réelle", que celui-ci n'est qu'une soif d'amour qui veut se partager et qui n'arrive pas à trouver le chemin vers l'appel qu'il a pourtant entendu, qui, dans le vacarme de
l'insignifiance et de l'agitation qui nous fascine et nous détourne de nous-mêmes, ne retrouve pas le chemin de sa source, un "Amour" qui dans le moment n'est pas à sa place, parce qu'il ne l'a pas encore trouvé ...
c'est dans cet instant précis que nous pouvons décider de nous pardonner, de laisser là nos illusions. Alors "décapé" et totalement "démuni", nous nous retrouvons instantanément dans le flux de l'Amour et de la Vie, nous "découvrons" qu'il n'est alors plus besoin de Loi pour encadrer, signaler, rappeler quoique ce soit.

(Il est quelques mots qui "sont" tout simplement, qui n'ont d'opposé, comme Amour, Vie (à la mort ce n'est que la naissance qui s'oppose, pas la vie),
comme Aleph qui rassemble en lui même toutes les autres lettres.
("une transformation et c'est la naissance, une transformation et c'est la mort" ; "on sort par la naissance et on rentre par la mort" disent les taoïstes),

Alors, chacun, là où il est, comme il est, en ce maintenant du moment présent, entre joyeusement dans la louange et oeuvre en toute liberté, puisque dans le respect infini et sans condition du Tout Autre pour sa créature, "Il ne se donne, moment après moment, que nos mains pour agir en ce monde", notre monde.

Dans la paix de D.ieu, rien de "réel" n'est menacé, ne peut être menacé, car rien "d’irréel" n’existe.

Donc si on le décide, "quand" ce peut être maintenant, en cet instant, et joyeusement.

PS : Dans le monde de la création, ce ratage de cible, ce refus d'accepter simplement ce qui est, n'est pas l'apanage que de l'homme. Dans le monde des hiérarchies spirituelles, les princes des ténèbres, et ils sont quelques uns, ont déjà ouvert la voie du refus, de la crise de pseudo-puissance et de la domination par le moyen de l'isolement. Libre à eux aussi, de revenir dans la « maison du Père », et pour sa plus grande joie, en plus …

A te lire, catherine, ici, ailleurs ou autre part …

jf

Anonyme a dit…

Superbe texte très sage
se respecter, respecter l'autre, c'est respecter la même vie
MERCI

je t'embrasse

Anonyme a dit…

Très sage et très beau texte.... à lire et relire
Merci

catherine a dit…

@JF Je suis arrivée aux mêmes conclusions que toi mais jusqu'à présent, ma compréhension n'en était qu'"intellectuelle" et la tristesse était en moi.
Je ne sais pourquoi (enfin, si je sais) ce matin, en relisant les paroles de Swami Prajnanpad, je viens de l'intégrer en moi. Ces paroles sont :
"Je donne ce que j'ai à donner
Je reçois ce que j'ai à recevoir
Je fais ce que j'ai à faire"
C'est la Trinité Sainte:
Le Père reçoit la louange de toute sa Création
Le Christ est celui par qui toute chose à été faite.
Le Saint-Esprit donne les dons de l'Esprit, don de paroles et de guérisons.
Cette Trinité est inscrite en nous car nous sommes créés à Son Image.

Tout (bonheur et souffrance), absolument tout, m'est donné pour Sa Gloire et Sa Louange est ma Joie.
La Loi est inscrite (gravée dans la pierre)en moi comme toute chose...

Mon nom sera désormais Hé (lettre hébraïque)qui signifie "louange".

J'espère que tu pourras me comprendre.
Mon post aujourd'hui s'appellera "sourire"

Anonyme a dit…

joli ce décablogue... :) Alex

Tisseuse a dit…

Hé : 5ième lettre hébraïque matérialise le souffle de vie
elle est la seule, par 2 fois, inscrite dans le tétragramme

alors, si nous unissions nos souffles afin que le respect et l'amour vivent autour de nous

Anonyme a dit…

Qu'il est bien ce Bellet!
Le respect de tout un chacun,quel qu'il soit,
Ne pas juger car il y a toujours une cause.
En tous lieux: Comprendre
....Ça devrait être enseigné dès la maternelle.

Anonyme a dit…

oui mais pour ne pas juger il faudrait déjà ne pas être jugé, or nous sommes enfermés dans un rôle dès notre plus jeune âge ..